Le schéma est classique : le narrateur rencontre fortuitement un être un peu mystérieux qui lui explique comment résoudre ses problèmes pour progresser dans sa vie. Pourtant le narrateur de « Va au bout de tes rêves » écrit par Antoine Filissiadis a toutes les clés en mains. Son métier consiste à animer des séminaires de développement personnel. On pourrait supposer qu’il applique à lui-même les techniques qu’il professe.
Cependant il n’arrive pas à concrétiser son désir le plus cher qui consiste à écrire un livre. C’est alors qu’apparaît son mentor, un homme décrit comme très vieux, qui prétend l’aider à l’écrire ce livre. Mais le narrateur reste dubitatif, et il y a de quoi, l’homme ne connaît rien à l’écriture, il est un ancien professeur de danse.
Chemin faisant, le lecteur découvre que l’écriture du livre n’est qu’un prétexte, l’aide du vieil homme est beaucoup plus profonde que quelques conseils de rédaction et ses techniques sont inattendues et puissantes. Je ne les cite pas toutes, mais je retiens par exemple qu’il crée des circonstances permettant au narrateur de vivre ses obsèques alors qu’il est dans la force de l’âge et en parfaite santé. Les effets attendus vont au delà des mots, mais cette mise en situation qui tourne autour de la mort a pour but de provoquer un électrochoc en relation avec la vie : le temps que nous avons à passer ici bas est très court, ne le gaspillons pas, allons à l’essentiel, arrêtons de nous mettre des verrous inutiles, réalisons nos rêves.
Un peu plus loin il lui demande de se visualiser très vieux, sur son lit de mort, entouré des siens. Qu’a-t-il à leur dire ? Cette nouvelle mise en situation amène le narrateur à prendre conscience des liens qui l’unissent aux êtres qui lui sont chers, et à leur communiquer explicitement son ressenti. Bien sûr il leur exprime son amour, mais il leur dit sa reconnaissance, ce qu’il a loupé ainsi que l’importance qu’ils ont eue dans sa vie et dans son développement personnel.
Au passage, je relève qu’il reconnaît que, s’il anime des séminaires de développement personnel, c’est parce que lui-même est en recherche. « C’est pour m’aider moi-même que j’ai choisi ce métier » reconnait-il.
Quand son mentor le ramène à son sujet de préoccupation, écrire un livre, il fait un parallèle avec la danse. On danse avec le corps, pas avec la tête. « Danser, c’est comme faire l’amour. Cela se passe dans le corps. Il faut oublier que l’on danse. Être présent, là, dans la cadence, sans but, sans intention. Plus vous vous efforcez de plaire, moins vous y arriverez. Plus vous vous obstinez à obtenir un résultat, plus le but s’éloignera de vous ». Et puis, plus loin : « L’art ne se donne que si on l’oublie. Vous ne créez pas, c’est la création qui se construit à travers vous. Laissez les choses se faire, et elles se feront ».
Le support de la danse n’est pas anodin. « Les processus dansés ne passent plus par le filtre du raisonnement, et donc ils touchent au but en communicant l’essentiel à l’inconscient ».
Afin que le narrateur n’ait pas recours au filtre et aux limites de son intellect, son mentor lui demande de danser les situations auxquelles il le confronte. C’est ainsi que, bien que ses parents soient en bonne santé, il lui demande de « danser » leurs obsèques. A chaque mise en situation, la danse sert de support à une expression verbale, mais cette expression vient du cœur, pas de la tête.
Le fait de lui faire enterrer symboliquement ses parents est éminemment symbolique. Ce n’est pas les parents qui sont enterrés, mais tous les conditionnements, toutes les limites issues du passé. « Vous enterrez vos parents aujourd’hui, Antoine. Vous leur annoncerez que vous vous donnez la permission de suivre votre propre chemin et non celui qu’ils ont tracé pour vous ».
Comme une explication à toutes ces situations qui bousculent le narrateur, le mentor expose sa conception de la vie : « La vie n’est qu’illusion. Nous choisissons un jeu et nous le jouons comme des automates toute notre vie. La majorité d’entre nous ignore que c’est un jeu, et que, s’il ne nous amuse plus, nous pouvons l’arrêter et en choisir un autre ».
Bien sûr cet enseignement peu banal et même hors du commun porte ses fruits, ce qui était prévisible. Mais ce qui n’était pas prévisible, c’est le dénouement final que rien ne laisse présager et qui met en perspective tout ce récit.
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